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Amapola - Le blog d'Olivier Sebban
16 octobre 2009

"Le Jour de votre Nom", d'Olivier Sebban Article paru dans Le Monde des Livres

Métaphysique des crépuscules

Extrait d'article concernant " Le jour de votre Nom" signé Lila Azam Zanganeh, paru dans "Le Monde des livres"

En exergue de ce roman magnifique, il y a la lutte de Jacob avec l'Ange, sans doute l'un des épisodes les plus mystérieux de la Bible : "On ne t'appellera plus du nom de Jacob, mais Israël, car tu as combattu avec Elohim comme avec des hommes, et tu as vaincu !" Ce qui est en jeu, dès le départ, c'est la question de l'origine. De cette blessure originelle qui, au terme d'une lutte avec Dieu, signe la naissance d'un peuple.

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Le Jour de votre Nom, d'Olivier Sebban, se déroule pendant la seconde guerre mondiale, au cours de laquelle cet épisode de la Genèse est transfiguré en allégorie d'un destin - celui d'Alvaro Diaz. "Quelque chose s'était réveillé en Europe. Quelque chose était à l'oeuvre qui le menaçait, lui et sa manière d'arpenter le monde." A l'hiver 1939, Alvaro, jeune républicain espagnol aux prises avec les dernières secousses de la guerre d'Espagne, est contraint à l'exil vers la France, suite à un guet-apens organisé par son beau-père. Quittant sa femme et ses deux enfants, Jacob et Victor, il tourne le dos à l'Espagne fasciste pour suivre la crête des collines, jusqu'à une première forêt qui lui indiquera le chemin des Pyrénées. Pour tout bagage, il emporte avec lui, depuis le Cabo de Ajo de son Espagne natale, le journal de sa soeur Esther, reçu par la poste deux ans auparavant. "Il semble que cette guerre nous ait repoussés aux deux extrémités d'une même époque", lui avait-elle écrit.

 

Cette fuite d'Espagne constitue en réalité une série complexe de flash-back insérés à l'intérieur du récit de la déportation d'Alvaro vers les camps de la mort. Car le carnet d'Esther révélera peu à peu Diaz à lui-même, à sa propre destinée, enfouie au creux de la véritable histoire de leur père. Héros de la guerre d'Espagne, mort fusillé, ce père a vécu sous une identité factice, un nom inventé, que ses enfants portent à leur tour. Ce nom, Diaz, a occulté une autre vie, d'autres êtres, et une ombre béante qui soudain rejaillit à la surface du présent.

Or Isaac Diaz , le père, de son vrai nom Isaac Diaz, "le Marocain, fils du Français de Crémieux", demande de l'autre côté de la vie à ce que son fils récite pour lui un kaddish. "Le retour s'accomplira dans la récitation de mon fils en prière", avait-il déclaré. Et c'est donc à ce père, comme rencontré une deuxième fois dans la mort, qu'Alvaro ne cesse de réfléchir, tout au long de son errance vers l'est, puis de son séjour dans le camp de Gurs, comme prisonnier politique. "Depuis la défaite républicaine, la moitié de l'Espagne avait été internée dans les camps de concentration français. Des fratries entières." Dans le silence du travail forcé, l'horreur de l'hôpital, des latrines, des besognes au cimetière et du sadisme des chefs, c'est par la mémoire de son nom véritable, cette lancinante spéléologie des origines, qu'Alvaro s'éveille à la signification de son voyage à lui : faire face au père et épouser le destin de sa tribu. Il s'évadera de Gurs avec deux amis, pour rejoindre un réseau de résistance en aidant des gamins juifs à passer la frontière espagnole. Combattre, fuir, survivre à soi-même - Alvaro, en vérité, est essoufflé par tant de mort, "victime de l'invraisemblable pandémie de cruauté que la mémoire conçoit comme une vraisemblance lorsqu'elle s'est enrayée depuis longtemps". Et, chemin faisant, Alvaro sait déjà que lui aussi, très bientôt, on ne l'appellera plus du nom de Jacob, mais d'Israël.

Le pays de l'enfance

"Nous vivons un temps de fable", s'exclame l'un des personnages. Et, en effet, ce temps de guerre, raconté par Sebban de façon extraordinairement précise et poignante - dans la veine du Malraux de L'Espoir -, se dévoile ici comme résumé métaphysique de l'humain, du combat de l'homme avec Dieu.

Le premier roman d'Olivier Sebban, Amapola, paru en 2008, parlait également de la guerre d'Espagne. Car l'Espagne est, pour Sebban comme pour Alvaro, liée à ses origines juives marocaines, tangéroises. L'espagnol était la langue maternelle de sa grand-mère, et elle est la deuxième langue de l'auteur. L'Espagne est aussi pour Sebban le pays de l'enfance. Il raconte avoir senti très tôt, presque dans son corps, les séquelles qu'avait laissées le conflit de 1936, dont l'ombre portée plane toujours sur l'Europe d'aujourd'hui. Or, s'il choisit d'écrire deux romans dits "historiques", c'est pour parler de l'histoire, non comme chroniqueur, mais comme métaphysicien des crépuscules. A l'aune des écrivains américains qu'il admire, William T. Vollmann ou E. L. Doctorow, c'est pour être absolument moderne qu'il réécrit, à sa manière, le passé. Ainsi expliquait-il, au moment de la parution d'Amapola en août 2008, qu'il "ne suffit pas d'établir un état des lieux sordide et désespéré - l'inventaire factuel et détaillé d'un homme barbotant dans son temps - pour être moderne. Ce type de modernité se fane avant d'éclore". Alors que l'histoire, elle, va de l'avant.

Article complet dans le Monde des Livres du 8/10/09

 


LE JOUR DE VOTRE NOM d'Olivier Sebban. Le Seuil, 404 p., 21,50 €.

Lila Azam Zanganeh

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