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Amapola - Le blog d'Olivier Sebban
30 mars 2010

Avant d'écrire. "A la maniére de John Gierach"

DSCN0123Vous vous réveillez tôt le matin, à la fraîche, l’expression convient parfaitement, même si vous avez la certitude que la journée sera chaude et le ciel bleu, intense comme il l’est si rarement à Paris. Vous passez par la cuisine, récupérez votre petit déjeuner et sortez sur la terrasse pour vous installer dans le jardin, derrière la petite maison en brique où vous séjournez avec votre compagne. Assis dans un fauteuil en tissu imperméable, modèle utilisé par les pêcheurs du coin, vous mangez tranquillement en regardant le grillage où vous avez aperçu, la veille, dans les phares de votre voiture, un énorme raton laveur. Vous observez devant vous les broussailles et les maisons cachées derrière de grands pins. Quelques écureuils gris bondissent entre les branches d’un chêne rouge. Un geai bleu, plus gros que nos merles, un cardinal rouge vif, un robin, se posent parfois dans l’herbe. Deux chats tigrés viennent vous saluer et renifler la mousse sur la terrasse. Ca commence comme une journée de pêche à la mouche décrite par John Gierach, Traité du Zen et de l’art de la pêche à la mouche, dont je vous recommande la lecture, même si de votre vie vous n’avez jamais capturé la moindre truite. Il s’agit du début d’une matinée de travail et de concentration. DSCN0134Vous allez bientôt rejoindre l’un de vos endroits favoris pour écrire les derniers chapitres de votre second Roman. Café à volonté. Le Globe ou le Walker’s ? Au Globe il fait frais et des portraits d’écrivains Irlandais que vous aimez sont accrochés au mur. Le nom du Pub vous évoque un certain Bill S, son théâtre londonien construit sous le règne d’Elisabeth. Pourtant vous êtes à une centaine de miles au sud-ouest d’Atlanta, à Athens, Georgia, ville universitaire du vieux Sud des Etats-Unis. Maintenant vous traversez à pied l’Université. Une demi-heure de marche. Vous longez le stade de foot, les bâtiments de briques rouges et leurs colonnes blanches de style néoclassique. Magnolias, chênes, pins, chèvrefeuilles, caroubiers. La terre est rouge. Quelque chose de british DSCN0141tombé par accident sous un climat subtropical ; mais les ombres sont si larges sur les pelouses et vous avez longé un vieux cimetière où des soldats confédérés sont enterrés. A midi vous irez sans doute déjeuner au Five Star, vous lirez ensuite un peu de Giono, Un roi sans divertissement, peut-être Erskine Caldwell, Toute la vérité, un auteur considérable qui vécut dans la région.

 

Vous êtes en Caroline du Nord, à Black Mountain. Vous vous rendez à pied au Dripolator coffeehouse, tôt le matin, à la USA_001fraîche, l’expression convient parfaitement. Vous irez vous asseoir à l’écart afin d’écrire les derniers chapitres de votre second roman. Vous avez dormi dans une immense maison isolée au milieu des bois. Les gens du coin l’appellent le manoir. On vous a montré des chausse-trappes dans les lambris. Le propriétaire y dissimulait ses bouteilles d’alcool pendant la prohibition. De quoi stimuler votre curiosité et votre imaginaire. Vous allez solitaire, une ribambelle de fantômes accrochés à vos basques depuis que vous avez claqué la porte. Vous longez de petites maisons de style colonial, croisez de temps à autre la flèche blanche d’une église. Un type au volant d’un pickup 12 cylindres en V, passe et vous salue. Vous venez d’une très ancienne civilisation. Peu importe. Les civilisations ne font que se succéder, conformer leurs destinées les unes aux autres. Vous parvenez au centre ville : Short et Tennis. USA_009Que deviennent les vieilles civilisations quand la majorité de leurs citoyens ont perdu le sens de la langue ? Que deviennent les civilisations quand les récits fondateurs ne réinventent plus le réel ? Vous êtes sans doute trop pessimiste. Vous avez embarqué Cendrars avec vous,  La prose du transsibérien et Lorca pour garder un pied en Espagne, un pied ici et ailleurs, dans la dining_Dripolatorcivilisation. Vous avez aussi prévu Neruda et Derek Walcott dans la sacoche de votre ordinateur. Vous songez que Thomas Woolf n’habitait pas loin, à Asheville où Fitzgerald tira quelques coups de révolvers au plafond d’un hôtel. Beaucoup de bons écrivains sont passés et ont vécu dans les environs.

Vous êtes loin. Quand vous rentrerez en France vous aurez tout le temps de penser à votre subsistance, à votre survie. Certaines vieilles cités vous manquent, mais ici, au moins, vous ne pensez pas à l’accueil qu’on réservera à votre livre quand vous l’aurez terminé. Ici vous n’êtes n584154252_472089_8741pas obligé de parler, de forcer votre nature ou d’avoir l’air spirituel. Ici on vous salue Ici vous aimez saluer les gens. Vous essayez de parler leur langue. On est indulgent. Vous songez qu’écrire ce n’est pas expliquer ni transmettre, mais peut-être essayer de fraterniser avec quelque chose. Vous espérez y arriver. Pas facile. Il faut s’éloigner. Dans l’après-midi vous irez en montagne, arpenter un sentier cherokee, dans les Appalaches ou ailleurs, et le travail du lendemain s’accumulera lentement en vous. cezanneIl faut s’éloigner. Vous irez bientôt à New-York, grâce à deux amis. Au Moma vous attend un Cézanne, une nature morte, un choc. Vous irez aussi à Oxford Mississippi visiter ce cher W F, à Charleston et Savannah, offerte intacte à la fin de la guerre civil. Un cadeau de noël du Général Sherman au Président Lincoln. Une jeune civilisation arbore très vite les stigmates de sa propre histoire, renoue toujours avec les bégaiements de ses sœurs ainées.

Maintenant vous êtes en France. Il pleut cette petite pluie fine, agaçante. Personne ne vous salue dans les rues. Il faudrait songer à s’éloigner. 

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Commentaires
B
Je viens de découvrir votre blog grâce à André Bonet. Grâces lui soient rendues..!
O
OK merci, vais suivre ce conseil !
B
On dirait un songe fait par un Faulkner qui redécouvrirait son Sud. Cela fait du bien, de se souvenir de ces instants où l'on avait la sensation d'être au bout du monde, perdu, à l'abri de la médiocrité. "Saudade" comme disent les Brésiliens... "Saudade" d'un pays qui incarnait notre absolu, notre nulle part...<br /> Je comprends ce déchirement, Olivier, mon Brésil à moi est si loin...
N
Regarde si tu as l'occasion un film américain assez récent "Old joy". Une ballade américaine au milieu des bois. Je pense que cela devrait te plaire.<br /> Abrazo, n.
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