Article paru dans le nouvel Obs "Le jour de votre Nom"
Un roman d'Olivier Sebban
Interné
dans le camp de Gurs, dans le sud-ouest de la France, Alvaro affronte,
pendant la dernière guerre, un lieutenant sadique. C'est bouleversant
Le Jour de votre nom, par Olivier Sebban, Seuil, 406 p., 21,50 euros.
Ecrire
l'insoutenable violence : tel est le propos qui a fait inventer à
Olivier Sebban un nouveau style. Les phrases sont faites de
propositions indépendantes juxtaposées. Il n y a quasiment pas de
subordonnées, pas de «bien que...», «avant que...», «tandis que...».
Les faits sont alignés les uns à la suite des autres, entassés les uns
sur les autres. L'effet produit est très fort. On est submergé, étouffé
par cette masse compacte d'informations.
L'action se déroule de 1938
à 1944, de la fin de la guerre d'Espagne à la déportation en Pologne.
Aucune autre technique narrative n'aurait pu rendre avec autant de
vérité le bruit et la fureur de cette époque. Alvaro est un juif
espagnol, fils d'Isaac, lui-même passé autrefois clandestinement
d'Afrique du Nord en Andalousie. Sans être un combattant républicain
proprement dit (Sebban a évité le piège du manichéisme), Alvaro sait de
quels côtés penchent ses sympathies. C'est plutôt un nouvel avatar du
juif errant, condamné à se déplacer sans trêve. S'il est amené à tuer,
il tue comme une bête fauve aux abois. Son beau-père franquiste le
hait, des gardes civils violent et massacrent sa maîtresse. Alvaro
finit par franchir les Pyrénées et se réfugier en France. Commence
alors la plus inattendue et terrible de ses épreuves. On l'interne dans
le camp de Gurs, non loin de la frontière, dans le sud-ouest de la
France. Faisons confiance à l'auteur, qui s'est renseigné soigneusement
sur les conditions de détention infligées aux diverses catégories de
sujets jugées indésirables par le gouvernement français : juifs
allemands, juifs autrichiens, rescapés de la guerre civile. 428
baraques, une capacité d'accueil de 18 000 prisonniers, 1 800 mètres
d'égouts, 250 kilomè- tres de barbelés. Froid intense, paillasses
pourries, boue, brimades et humiliations de toutes sortes, cohabitation
forcée avec les cadavres qui n'ont pas résisté à ce traitement.
Le
camp est aux ordres d'un lieutenant sadique, le lieutenant Davers, un
Français «pur sang». Il explique à Alvaro sanguinolent et maculé de
fange que tous ces apatrides, échappés d'on ne sait quelle marge
suspecte, apporteraient en France le désordre et le chaos si on les
laissait en liberté. Cette infamie des camps de concentration établis
en France pendant la drôle de guerre, il ne semble pas que
l'historiographie officielle ait trop cherché à la mettre en lumière.
Les Allemands, après avoir envahi la zone libre, boucleront les
survivants dans des wagons plombés à destination d'Auschwitz. Mais
cette honte première de Gurs et des camps analogues, il fallait la
dire. Seule une prose sans emphase, serrée, efficace, pouvait en
exprimer l'horreur
Olivier Sebban
Olivier Sebban a 38 ans. Il a publié un premier roman, «Amapola», au Seuil, en 2008.
Dominique Fernandez
Le Nouvel Observateur