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Amapola - Le blog d'Olivier Sebban
2 octobre 2009

Une nouvelle de Faulkner

wfprt2Parler de William Faulkner n’est pas un exercice aisé. Beaucoup de ses livres ont un impact qui n’a, pour moi, strictement rien d’intellectuel. Des pans entiers d’« Absalon Absalon ! » sont inscrits dans ma mémoire, et, s’il s’agissait d’emporter un seul livre sur une île déserte, j’hésiterais entre cet immense récit et la Bible. Aussi, je me contenterai d’évoquer brièvement, pour l’instant, une de ses nouvelles, « L’ours », que j’avais présente à l’esprit en écrivant « Amapola ».

« L’ours » s’ouvre sur cette courte phrase : « Cette fois il y avait un homme et aussi un chien. » La nouvelle se déploie ensuite avec la verve torrentielle des plus grands romans de Faulkner. « Cette fois… », un conte qui n’a ni début ni fin et nous plonge d’emblée au cœur d’un récit des origines, nous égare au fond de cette forêt primordiale, initiatique et enchevêtrée : « grands bois plus vastes et plus anciens qu’aucun titre enregistré » que le style de Faulkner restitue à merveille sans presque jamais décrire. « Cette fois il y avait… », un conte, c’est certain ! « Un homme et un chien. », l’activité ancestrale de la chasse et son occurrence, la transmission, l’apprentissage au sein d’un Eden perdu, pas si édénique que cela d’ailleurs. Nous voici propulsés dés les premiers mots dans les méandres d’une simple histoire ; si simple qu’elle en devient universelle. Voici la terre d’Amérique, rêvée, archaïque, ou la manne se pose au sommet des buissons comme au désert, soudain déflorée, souillée par de vulgaires histoires de sang, de possessions - mémoires de filiations abîmées, cadastres, mémoires délétères, remaillées. 

« L’ours » est une histoire de terre perdue, une histoire de songe poursuivi sans jamais être atteint. Car celui qui possède son rêve, le tue. « L’ours », c’est l’Amérique fantasmée, la terre qui ne portait pas ce nom mais qui fût vendu à un européen, prédateur ou utopiste, par un vieil indien, Ikkemotubbe, qui n’imaginait même pas la posséder. « L’ours » incarne le symbole d’un monde sauvage repoussé au loin, vers la frontière et la mort, chassé par les errements de la civilisation et sa saga de songes abâtardis ou fanatiques, sa saga de mirages hybrides. « L’ours » se replie, fuit le progrès, cet autre Eden et son objectif intangible. Il y a du Far West dans cette nouvelle !

Lorsque Faulkner parle, il s’agit juste de laisser « la fine fleur » des conteurs éveiller en soit l’immense nostalgie qui affleure au-dessus du monde. Le temps retrouvé s’inscrit dans l’œuvre, et cette terre fuyante, désirée bien qu’absente, celui qui sait entendre, l’embrassera au fil des phrases. n584154252_800423_23

Je suis allé visiter la maison de Faulkner dans le Mississippi, il n’y a pas si longtemps, et traversant l’Alabama, comme  Lana, le personnage féminin  qui ouvre « Lumière d’août », une autre de ses grandes œuvres, j’ai voulu atteindre Jefferson, cette ville inventée, plantée au milieu d’un comté imaginaire : Yoknapatawpha. Je suis allé au seuil des livres de Faulkner que j’avais lus tant de fois, enchanté sur les marches de Rohan Oak, la demeure où il vécu à Oxford. J’ai réentendu un peu du chant qu’il avait fait jaillir des forêts aux confins desquelles, avec ma compagne, nous avons eu la chance de marcher. Pourtant, il m’a fallu retourner à ses livres, car en dehors de l’art, rien n’est suffisant. Je passe beaucoup de temps en forêt et je pense toujours à « L’ours ». Dès que le taillis devient plus dense, je retourne à la fiction.

Si vous désirez approfondir l’œuvre, il faut y revenir sans cesse, cela va sans dire. Mais je vous conseille également la très belle biographie d’André Bleikasten : « William Faulkner, une vie en romans ». Il faut lire également "Faulkner Mississippi " d'Edouard Glissant. 

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Commentaires
B
Borges disait qu'il n'y a rien de plus réel que la littérature. Je crois que c'est ce que vous illustrez bien dans ce post. C'est le propre des grands écrivains que de verser son lecteur dans un univers qui a plus de réalité que la vie même, qui la contamine. Faulkner est de ceux-là. Son vieux Sud est le monde et l'Histoire tout entiers, une terre biblique éternelle où se rejoue le drame de l'humanité.
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