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Amapola - Le blog d'Olivier Sebban
24 septembre 2009

Conrad : "Tempête sous un crâne"

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Lire Joseph Conrad c’est comprendre qu’un écrivain n’écrit jamais dans sa langue maternelle. Dans le cas de ce grand créateur russophone devenu auteur anglais, cela paraît évident. Pourtant, il me semble que tout auteur devrait être en porte-à-faux avec sa propre langue, s’en tenir à distance comme un étranger, s’y sentir mal à l’aise, inconfortable au point de chercher à la façonner, l’assouplir, la modeler comme un vieux soulier. Un écrivain est toujours un être en exil, décalé face à son propre environnement, à la fois impliqué et distant. Conrad n’a sans doute jamais vraiment été tranquille avec la langue anglaise, et c’est pour cette raison qu’il la courtisée d’une manière peu orthodoxe.

Si je préfère Conrad à Dostoïevski c’est avant tout pour une histoire de langue. Je suis sensible à la métaphysique du russe, mais celle de l’anglais d’adoption me touche plus directement. Conrad n’aimait pas Dostoïevski pour des raisons politiques et j’avoue que sa conception de l’homme m’est d’emblée familière, presque viscérale.

La métaphysique de Conrad est indissociable de son style contemplatif, où l’homme trouve sa place dans de justes proportions, où l’homme se meut seul, face aux menaces de sa conscience et de la nature. Conrad était un désespéré. Il installait ses personnages dans un monde sans Dieu, mais il n’était pas Nihiliste. Il croyait en la force éthique de l’homme, en sa capacité à chercher le rachat sans espoir de récompense. Beaucoup des personnages de ses grands textes portent une faute, qu’elle soit imaginaire, comme celle de Lord Jim dans le roman homonyme, ou réelle comme celle de Razumov dans « Sous les yeux de l’Occident ». Conrad est un humaniste pour qui l’honneur est essentiel ; le solde de tout compte d’une vie qui rétablie et répare, malgré l’indifférence du cosmos. Il s’agit donc d’un honneur qui n’a rien à voir avec la violence d’individus à la virilité chatouilleuse. Hemingway reprendra cette vision morale dans « Le Vieil homme et la mer », une vision que l’on pourrait qualifier de victoire dans la défaite.

Il faut lire et relire Conrad, ses nouvelles autant que ses romans. Il faut lire « Nostromo », ce chef d’œuvre que la critique négligea, comme elle négligea longtemps le travail de cet ancien capitaine de la marine marchande britannique, le qualifiant d’exotique, de compliqué sans raison, de bancal, le reléguant d’emblée du côté des récits d’aventures sans conséquences. Résultat : plusieurs dépressions nerveuses avant la consécration vers la soixantaine, trois ou quatre années avant sa mort, avec « Fortune », dont la structure n’était pourtant pas moins complexe que ses autres livres.heartofdarkness

Conrad au fond, était proche de Proust. Il le lu avec admiration à la fin de sa vie. Comme lui, il construisit une œuvre dont la géographie précise, avec ses lieux récurrents, est devenue un territoire littéraire et mythologique. D’ailleurs, si Malcolm Lowry ou Faulkner sont ses héritiers directs, cela n’est pas un hasard. Comme Balzac, Flaubert ou Proust, Joseph Conrad se sacrifia à la tâche. Toujours cette conception morale, cette idée du sacrifice.

Je conseille également la biographie critique de John Bachelor pour ceux qui souhaiteraient approfondir la rencontre.

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Commentaires
C
Je me permets d'ajouter que Conrad était un écrivain polonais, même si à l'époque de sa naissance, avait disparu de la carte, en partie annexée par l'Empire russe.
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