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Amapola - Le blog d'Olivier Sebban
8 septembre 2009

McCarthy sous le signe de Proust

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Le succès de la Route, dernier roman de Cormac Mc Carthy, comme la plupart des succès littéraires lorsqu’ils touchent une œuvre d’importance, repose sans doute sur un malentendu. La majorité des nouveaux lecteurs de Mc Carthy ont découvert son existence grâce à la très belle adaptation cinématographique des frères Cohen, de son avant-dernier roman, Non ce pays n’est pas pour le vieil homme. Convaincu d’aborder une œuvre dépouillée à l’extrême, dont la lecture paraît aisée, ils est probable que l’ensemble de ces lecteurs se soient cantonnés aux deux derniers romans de cet écrivain contemporain majeur, taciturne et laconique, récemment lauréat du prix Pulitzer, fraîchement adoubé sur le divan d’Oprah Winfrey, sans explorer le reste d’une d’œuvre complexe, d’une rare beauté et d’une grande cohérence thématique.

Non, Mac Carthy n’est pas cet écrivain à l’écriture blanche et dépouillée que l’on nous présente comme on vendrait les mérites d’un auteur de science fiction ou de polars, saupoudré d’une pincée de Shakespeare. Il suffit de lire Suttree, ce chef-d’œuvre baroque, qu’il mit quinze ans à écrire, pour comprendre que la question du style, chez cet auteur héritier de Faulkner, de la bible et de Proust, n’a pas grand chose à voir avec la sécheresse expéditive ou la facilité.

La prose de Mac Carthy, âpre, lyrique, dense, elliptique, se déploie de livre en livre, métaphysique, jamais didactique, aussi puissante que celle de l’ancien testament. Elle est rythmée par le retour incessant de la conjonction de coordination et, dont la fréquence marque l’inexorable écoulement du temps, la conduite de la tragédie à son terme où l’accomplissement de la quête initiatique. Ces notions de quêtes initiatiques et de tragédie sont d’ailleurs inextricables chez cet auteur. Sa langue s’impose comme une célébration. Elle est l’archéologie d’une réalité aveugle et froide, dont la magnificence interroge sans cesse le sens où l’absence de sens. De la phrase émane une vérité terrible, intangible, polymorphe, un effroi aux accents conradiens, sensible dans les nombreuses descriptions de paysages.

Rien n’est figé chez cet écrivain. La révélation est sans cesse ajournée. La certitude n’aboutit qu’au massacre. Impossible de saisir ses personnages et de résumer leurs intentions. Impossible de déchiffrer avec exactitude la conscience de sujets en mutation dont le destin ne se dévoile que dans l’immanence ou la catastrophe. Pas d’introspection ou rarement, ses héros sont brièvement révélés ou trahis par leurs gestes : prosaïques et répétitifs, accomplis comme autant de rituels. Les dialogues, souvent brefs, les dévoilent autant que leurs attitudes. Ils sont littéralement mis au monde, c’est à dire jeté dans un monde dont le sens se perd et se manifeste en violence et en beauté.

La cadence et l’apparente simplicité du rythme, dont les variations entre phrases courtes et phrases longues se côtoies parfois, évoque plus particulièrement le style et le propos de l’évangile johannique. Méridien de sang, roman de l’apocalypse, en est l’exemple le plus flagrant. Bien avant la Route, ce livre dessinait déjà le monde crépusculaire autour duquel s’est battit l’œuvre de Mc Carthy. Car le travail de cet écrivain hors norme, nous parle sans cesse du dévoiement du mythe, d’une mémoire délétère, récupérée par de faux prophètes. Les personnages de Mc Carthy se meuvent au bord de la chute. Ils recherchent les fragments d’un temps perdu que les rêves dans leurs fulgurances révèlent parfois, que les signes sur les roches, dessins rupestres où flèches brisées, raniment incomplètement. Si les héros de ses romans sont souvent des marginaux ou des adolescents, lecteurs attentifs d’un monde dont l’alphabet semble égaré, abscons, c’est le cas de John Grady, dans de si jolis chevaux, jeune homme avide d’un univers initial et cohérent où l’animal et l’homme pratiquent la même langue, se sont également des hommes capables de réinventer une religion dépravée, privée de transcendance. Le juge, incarnation du mal dans Méridien de Sang, illustre parfaitement l’idée du faux prophète, du prédicateur de pacotille, hâbleur et charismatique. Il est d’ailleurs amusant de remarquer à quel point ce personnage ressemble au colonel Kurtz appartenant à la nouvelle de Conrad : Au cœur des ténèbres. Dans les romans de Mc Carthy, comprendre le monde, le déchiffrer, le subir et l’affronter en chemin, comme l’affrontent les personnages des romans picaresques, s’oppose aux prophéties fabriquées, destinées à instrumentaliser la réalité ou asservir l’humain.

Si la question du mal est abordée dans cette œuvre avec une rare violence, elle n’est pourtant pas opposée au bien dans un rapport manichéen. Le temps retrouvé, chez l’auteur, ne ressemble en aucun cas à un Eden perdu. Il s’agit d’une fatalité archaïque, une loi que le dur monothéisme des protestants n’égale pas en rigueur, une loi de nécessité et de mort quasiment Tolstoienne, (je pense ici au Cosaques) acceptée comme telle dans sa beauté ou dans sa laideur. Ce n’est sans doute pas un hasard si l’on croise d’ailleurs quelques églises désaffectées au fils de l’œuvre.

Le monde est-il habité, l’habitons nous de nos rêves, de nos questions ? Telles sont les interrogations qui animent sans cesse les personnages des romans de Mc Carthy. Le juge, faux prophète de Méridien de sang, postule en faveur du néant et manipule des foules de fantômes. « Car là où il n’y a plus de Dieux, règnent les spectres. » disait Novalis. A la fin de toute chose, même devant la pantomime du mal, le silence reprend ses droits. Dans son dernier roman, la Route, le père d’un jeune enfant : incarnation énigmatique du messie, le sait bien. « les sectes sanguinaires s’étaient sans doute mutuellement consumées. » Pense-t-il en observant le panorama d’une ville déserte et dévastée.

L’enfant, l’adolescent, le laissé pour compte, dont les sollicitations sont évidement messianiques, n’annonce rien de plus que ce que l’art peut révéler ou retrouver, selon cette logique proustienne qui semble si chère à Mc Carthy. Il faut donc lire l’œuvre de cet auteur sans oublier que tout grand romancier est avant tout un grand artiste. 

J'ai d'abord publié, il y a quelques mois, cet article sur le très bon blog de Salim Bachi, romancier édité chez Gallimard, dont je recommande vivement la lecture. 

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